Les nageurs de Lesbos

Pour les réfugiés en provenance de Turquie, Lesbos est devenue une île de transit. Souvent traumatisés par leur traversée, ils développent envers la mer
une phobie que certaines ONG leur proposent d’affronter et de dépasser
en organisant pour eux des cours de natation.

Sur la petite commune de Neapoli, au sud de Lesbos, le contraste est saisissant. D’un côté du bitume, des enfants jouent au bord de la piscine d’un bel hôtel ; de l’autre, quelques vacanciers étalent leur serviette sur la plage, et parmi eux un petit groupe. Chaque jour des réfugiés descendent la route à pied pour rejoindre les galets du bord de mer. Ils viennent de Pikpa, un camp qui a ouvert en 2014, au début de la crise des migrants, et qui accueille essentiellement des familles. Face à eux la côte turque se dessine, à la fois proche et lointaine. De jour comme de nuit des frégates militaires patrouillent la zone pour quadriller 18 km de bras de mer.

Sur la plage, Danea et Ranea, deux jumelles syriennes de 10 ans, enfilent leur maillot de bain. Ranea est toute excitée : elle souhaitait à tout prix un bikini. Sa mère qui se baigne habillée et voilée a fini par dire oui. Debouts sur leur serviette, les deux sœurs trépignent d’impatience de plonger dans l’eau. Il y a un an et demi, elles effectuaient la traversée avec leur mère. Danea s’en souvient très bien. Elle raconte cette épreuve dans un bon anglais : « Il nous a fallu 10 h d’autobus pour atteindre le port turc d’Izmir depuis Istanbul. Il fallait faire vite et être discrets. Nous étions une soixantaine dans le bateau, un bateau en plastique avec une coque rigide. Nous sommes partis dans la nuit pour arriver à Lesbos vers 5 h du matin. » […]

Article et photographies publiés dans Les Inrockuptibles, 11 octobre 2017

For refugees from Turkey, Lesbos has become a transit island. Often traumatized by their crossing, they develop towards the sea a phobia that some NGOs propose to confront and overcome by organizing swimming lessons for them.

In the small town of Neapoli, south of Lesbos, the contrast is striking. On one side of the asphalt, children play by the pool of a beautiful hotel; on the other, a few holidaymakers spread their towels on the beach, and among them a small group. Every day refugees walk down the road to the pebbles on the seaside. They come from Pikpa, a camp that opened in 2014, at the beginning of the migrant crisis, and which mainly hosts families. In front of them, the Turkish coast is taking shape, both near and far. Day and night, military frigates patrol the area to cover 18 km of inlets.

On the beach, Danea and Ranea, two 10-year-old Syrian twins, put on their swimsuits. Ranea is very excited: she wanted a bikini at all costs. Her mother, who swims with her clothes on and veiled, finally says yes. Standing on their towel, the two sisters can’t wait to dive into the water. A year and a half ago, they were making the crossing with their mother. Danea remembers it very well. She recounts this ordeal in good English: “It took us 10 hours by bus to reach the Turkish port of Izmir from Istanbul. We had to be quick and discreet. There were about sixty of us in the boat, a plastic boat with a rigid hull. We left in the night to arrive in Lesbos around 5am.” […]

Article and photographs published in Les Inrockuptibles, 11 October 2017